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La ville de Lassay à la fin du Moyen Âge

Considéré comme une ville, et ainsi nommé du XIVe siècle au XIXe siècle, Lassay concentre en effet sous l’Ancien Régime un grand nombre d’activités économiques et administratives : plusieurs foires annuelles s’y tenaient, ainsi qu’un important marché hebdomadaire. De plus, étant le siège d’une puissante châtellenie composée d’une trentaine de paroisses, la ville concentrait les activités judiciaires et fiscales : bailliage, audience, grenier à sel…  

Un lien inextricable entre Lassay et son château

Si l’on ne peut donc comprendre Lassay sans son château, l’inverse est également vrai. C’est pourquoi, dans le double cadre de l’étude d’inventaire du patrimoine de l’ancien canton de Lassay-les-Châteaux et de l’étude d’archéologie du bâti menée sur le château, une étude fine a été menée sur la ville, et plus particulièrement sur son développement et son aspect à la fin du Moyen Âge, période de reconstruction complète du château.

Vue aérienne de la ville de la Lassay. Au premier plan, le château, le grand étang et sa digue. A l’arrière, l’axe principal partant du château se distingue dans le parcellaire. ©Y. Guillotin

Aux origines de la ville…

La paroisse originelle de Lassay ne se trouvant pas dans le bourg, mais à un kilomètre de distance, dans le village de Saint-Fraimbault, l’hypothèse d’une fondation châtelaine peut sérieusement être émise. Elle est rendue plausible par l’organisation du parcellaire de la ville, dont le déploiement à partir du château est encore lisible. L’axe principal s’étend de celui-ci jusqu’à la limite orientale de la ville. Il est bordé de part et d’autre de parcelles laniérées, typiques des lotissements médiévaux. Leur régularité est troublée autour du château par ce qui pourrait être la trace fossile du castrum primitif. Celui-ci engloberait le château ainsi que la chapelle castrale et se terminerait à l’est par un axe de forme arrondie.

Alors que la chapelle et le château de Lassay sont mentionnés dans les sources écrites dès le XIe siècle, le bourg de Lassay n’est cité qu’au XIIIe siècle1. En effet, entre 1233 et 1270, les seigneurs de Lassay donnent aux moines de l’abbaye de Savigny divers emplacements de maisons « in burgo de Laceio »2, dont les titres sont conservés aux archives nationales3. Bien que précieux, ces documents apportent peu d’éléments descriptifs sur le bourg. Les maisons concernées par ces donations n’ont pu être localisées avec précision.

La ville au XVe siècle à partir des sources textuelles

En revanche, les sources textuelles apportant des renseignements sur la ville au XVe sont nombreuses et précises. Des procès concernant les cens ou les usages d’espaces sont reportés dans les remembrances de la châtellenie. Le détail des impôts payés par les bourgeois de Lassay est spécifié dans les recettes des comptes des seigneurs. Par ailleurs, l’inventaire des titres de la ville, dressé en 1765, décrit chacune des parcelles d’un plan terrier, aujourd’hui disparu4.

La réalisation méthodique de l’inventaire, portion de rue par portion de rue, permet néanmoins, dans la majorité des cas, d’associer les numéros de parcelles du XVIIIe siècle aux parcelles actuelles. Non seulement ce document est riche en renseignements sur l’aspect de la ville au XVIIIe siècle, mais pour chaque parcelle, les titres antérieurs ont été recopiés à chaque fois qu’ils étaient conservés dans le chartrier ; certains remontent au XVe siècle.

Carte de la ville de Lassay, édifices étudiés. ©T. Ben Makhad

Carte de la ville de Lassay représentant les édifices étudiés

L’étude et le croisement de ces différentes sources permettent de brosser un portrait de la ville de Lassay à l’époque de la reconstruction du château. Sans être véritablement fortifiée, elle était protégée de toutes parts. Ses accès est et nord étaient fermés de portes5. Au nord et au sud-est, elle était ceinte de fossés, dans lesquels se trouvaient des parcelles de jardins. Elle était protégée au sud par la présence d’un grand étang, qui s’étendait presque jusqu’à la limite orientale de la ville, ainsi que par le dénivelé naturel. Celui-ci, aménagé en terrasses, était découpé en parcelles de jardins, closes de murs, comme c’est encore le cas aujourd’hui. A l’ouest, la ville était fermée par le château et un second étang, dit étang Barbot.

Certaines maisons existant au XVe siècle ont pu être resituées grâce aux titres de l’inventaire de 1765, à l’emplacement de parcelles actuellement bâties. D’autres documents montrent une urbanisation de la ville déjà dense au XVe siècle. En effet, la plupart d’entre eux décrivent les maisons « jouxtant » d’autres habitations. Il semblerait donc qu’à la fin du Moyen Âge le front bâti était presque identique à celui qui est visible aujourd’hui. 

Analyse du bâti de la ville

Cette étude archivistique s’est accompagnée d’une prospection architecturale. De nombreuses maisons, quelle que soit leur époque de construction, ont été visitées de fond en comble. Une attention particulière a été portée aux éléments architecturaux anciens. Si cette prospection comporte encore quelques lacunes, elle a déjà permis de pointer des traces architecturales du XVe siècle, venant compléter les indications des sources écrites. 

Plusieurs difficultés ont néanmoins été rencontrées. Les maisons du centre-ville ont subi de nombreuses modifications depuis le Moyen Âge pour être adaptées à des standards plus contemporains. Au XVIIIe siècle, la plupart des façades ont été modifiées pour moderniser l’apparence des habitations. Les parements sont refaits et les baies sont élargies. Puis au XIXe siècle, certaines charpentes sont surhaussées, pour permettre aux greniers d’accueillir des grains en abondance. Enfin, au XXe siècle, les murs intérieurs ont été revêtus de placo et d’enduits empêchant toute lecture fine des maçonneries. Nombre de cheminées anciennes ont été démontées pour agrandir les pièces de vie.

Par ailleurs, si toutes les maisons sont fondées sur des caves, ces dernières ne comportent pas d’éléments stylistiques pouvant les dater avec précision. Certaines sont directement taillées dans les bancs granitiques sur lesquels la ville est fondée, d’autres comportent des maçonneries de moellon de granit indatables. Leur plafond est fait de grosses poutres et de solives que, lorsqu’elles ne sont pas ostensiblement modernes, il serait périlleux de faire dater par dendrochronologie en raison de l’état des bois, abîmés par l’humidité, ou ayant facilement pu être remplacées en sous-œuvre au fil du temps. 

La persévérance a néanmoins été fructueuse. Une cheminée ancienne, en place et associée à une paire de baies, a été découverte au 12, rue du Haut-Perrin. Sa taille imposante, ses corbeaux à deux ressauts et chanfrein profond, ainsi que la forme en plein cintre de la porte à laquelle elle est accolée permettent de la dater du XVe ou du XVIe siècle par comparaison typologique avec d’autres logis étudiés dans les environs. Deux édifices élitaires, situés au cœur de la ville au 31, rue Dorée et au 12, rue d’Ambrières, dont les étages sont distribués par des tours d’escalier et les pentes de toits importantes, datent vraisemblablement de cette même-époque.

Ancien hôtel particulier 31-33 rue Dorée, ancienne tour d’escalier. ©Y. Guillotin

Une maison, aujourd’hui divisée en deux parcelles, situées aux 15 et 17 Grande Rue, a livré des résultats plus précis. Elle est organisée en deux corps de bâtiments, situés de part et d’autre d’une cour et reliés à l’est et à l’ouest par des galeries aujourd’hui maçonnées. Son corps de logis sud, fondé sur une cave planchéiée, a pu faire l’objet d’une étude plus poussée. Sa charpente, en partie visible dans la partie occidentale et complètement visible dans la partie orientale, est composée de trois fermes, dont les pannes reposent sur des embrèvements, d’un poinçon long et mouluré. Une cloison en pan de bois et torchis a été ajoutée à une date postérieure à la construction dans la ferme de charpente centrale, afin de diviser la maison en deux unités.
Malgré la réfection des façades à la fin du XVIIIe siècle (partie occidentale) et au XIXe siècle (partie orientale), nous avons fait le choix d’effectuer des prélèvements dendrochronologiques sur la charpente. Ils ont été réalisés par l’entreprise Dendrotech, accompagnés d’un test complémentaire sur une des poutres de cave. Grâce à la présence d’aubier, le tout a pu être daté de manière précise et a révélé que la maison a été élevée en une seule phase de construction, de la cave à l’étage de comble, durant l’année 1492-1493 (printemps 1492 ; hiver 1492-1493). Ces résultats sont venus confirmer ceux obtenus à partir des textes. Au XVe siècle, les maisons de Lassay se trouvaient bien à l’emplacement des habitations encore présentes aujourd’hui. 

Conclusion

La ville de Lassay constituait à la fin du Moyen Âge un ensemble urbain important et dynamique, ayant sans doute connu à la fin du XVe siècle une phase de rénovation ou de croissance importante, à l’instar du reste de l’ancien canton de Lassay. Sans être dotée de véritables fortifications, la ville était close et protégée par ses fossés et ses étangs, ses murs et ses jardins. La rivière du Lassay n’était pas franchissable dans la ville. La seule route qui l’enjambait, passant sur la digue du grand étang et au large de l’étang Barbot, était dominée par le château et son dispositif serré de défense. L’ensemble ville-château verrouillait donc de manière efficace le réseau de routes partant de Lassay. 

1 « Burgum de Laceio », 1213 (AN, L 971), « extra muros Laceio », 1213 (ibid.), « burgenses de Laceio », 1270 (ibid.), mentions relevées par l’abbé Angot. ANGOT, 1900-1910, article Lassay. 
2  ANGOT, 1900-1910, article Lassay. Les moines de Savigny reçurent des droits sur la seigneurie de Lassay de Juhel II de Mayenne, confirmés par Geoffroy de Vendôme en 1272. 
3  Archives nationales, L 971. 
4  Archives départementales de la Mayenne, 138 J 47-49. 
5  Introduction à l’inventaire des titres, 1765 : « Cette ville étoit anciennement close de murs et entourée des fossés des côtés du midi et du levant, avec des portes de villes » (Archives départementales de la Mayenne, 138 J 47). 

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