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Moulins à eau et usines de la Sèvre Nantaise

Dernier grand affluent de la Loire, la Sèvre Nantaise prend sa source sur le plateau de Gâtines dans le département des Deux-Sèvres et poursuit son parcours jusqu’à Nantes, traversant quatre départements (Deux-Sèvres, Maine-et-Loire, Vendée et Loire-Atlantique) et deux régions (Nouvelle-Aquitaine et Pays de la Loire). Sur ses 135 km de rivière, plus de 140 sites hydrauliques ont pu être recensés.

Les rives de la Sèvre Nantaise révèlent une grande diversité de sites, certains moulins s’étant établis sur la berge quand d’autres ont été édifiés sur un ilot ; leur équipement a pu varier d’une à cinq roues en fonction de leur date de construction et de la nature de leur production (moulins à grain, à foulon, à tan) ; enfin si certains ont été abandonnés au fil du temps et sont aujourd’hui en état de ruines, d’autres ont connu un élan industriel à la fin du 19e siècle et ont traversé plusieurs étapes de transformation.

La Sèvre Nantaise bénéficie d’un débit important, ainsi que d’une déclivité régulière dans la majeure partie de son parcours. De plus, entre Mallièvre et Cugand, son cours devient plus torrentiel favorisant alors l’installation de moulins à eau dès le Moyen Age. Entre le 10e et le 13e siècle, l’emploi de la force hydraulique se généralise. Les moulins à eau se multiplient le long de la Sèvre Nantaise, palliant ainsi l’irrégularité de l’énergie éolienne des moulins à vent soumis aux aléas météorologiques. Sa position en pays de Marches lui est également profitable pour les échanges économiques du fait des droits et des exemptions mis en place. Plus tard, sa proximité avec les villes industrielles de Nantes et de Cholet en fait un axe commercial important qui le restera jusqu’au milieu du 20e siècle.

Chaussée du Moulin Vieux, Tiffauges et moulin à foulon, Le Longeron, sur la Sèvre Nantaise. (c) Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson

Dès le Moyen Age, la Sèvre Nantaise fournit des ressources importantes pour l’ensemble du territoire bocager. L’essentiel est capté au profit des meuniers et des foulonniers. La production de farine (froment, orge, seigle) est avérée dès la fin du 11e siècle, elle s’est peut-être développée plus tôt encore dans le cas de moulins banaux. L’élevage du mouton, très présent dans le Poitou, favorise l’installation de moulins à foulons dès le début du 13e siècle. Cette activité était destinée au dégraissage et au feutrage des tissus de laine. Une quarantaine de sites foulonniers, parfois temporaires, ont été recensés le long de la Sèvre Nantaise, souvent à proximité d’importants villages. La survivance du moulin à foulon de Gaumier à Cugand présente un procédé à deux piles jadis très commun.

On assiste à une première reconversion des moulins au 17e siècle avec l’arrivée de la papèterie. L’implantation des usines à papier s’explique par la forte puissance hydraulique de cette rivière associée à la production intensive de lin dans le bocage vendéen. Par une technique très simple, les tissus usagés sont récupérés puis déchiquetés, broyés et transformés en pâte à papier. Plusieurs moulins à papiers sont attestés au 17e siècle le long de la Sèvre Nantaise : moulins Bouttin (Mortagne, 1634), Bouchet (Mortagne, 1652), Antières (Cugand, 1669). L’industrie papetière atteint son apogée au 18e siècle avec le débouché nantais : de nouveaux moulins à papiers sont édifiés à La Feuillée (Cugand, cité en 1729), Belleville (Mortagne, 1758), les Zais (Mortagne, 1778), Moulin Neuf (Tiffauges). La Sèvre Nantaise occupe alors une place de premier plan, elle exporte jusqu’en Hollande.

Papèterie du Moulin Neuf, Tiffauges (c) Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson

Le début du 19e siècle marque une période de déclin pour les activités artisanales condamnant certains sites à l’abandon mais d’autres profitent de l’essor du textile choletais pour se reconvertir comme à Cugand où est créée la grande manufacture textile de Hucheloup, d’autres se réorienteront de manière éphémère en chamoiserie, d’autres enfin sont absorbés par le moulin à farine auprès duquel ils se trouvent. Le textile connait sur les rives de la Sèvre Nantaise une expansion brutale avec la mécanisation de la filature. On assiste en même temps à la modernisation du monde de la meunerie et l’abandon des meules de fabrication locale au profit de systèmes plus productifs. On voit apparaître le long de la rivière une nouvelle architecture étagée caractéristique de la grande industrie du 19e siècle. La minoterie des Zais, aménagée en 1863 à Mortagne est une des premières construites le long de la Sèvre Nantaise[1].


[1] DUFOURNIER, Benoît. L’exploitation de la force hydraulique de la Sèvre nantaise. Les évolutions d’une technique. In : 303, Trimestriel n°3, 1984 (4e trimestre). Patrimoine industriel en Pays de la Loire. pp. 115-135.

Manufacture d’Hucheloup, Cugand (c) Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson

Ci-dessous – Foulons de l’usine Fleuriais, Mortagne-sur-Sèvre. (c) Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson

Foulons de l’usine Fleuriais, Mortagne-sur-Sèvre. (c) Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson

Malgré l’abandon progressif de ses activités, le moulin à eau reste une composante importante du paysage bocager vendéen. Autour du site de production hydraulique s’est progressivement établi un véritable lieu de vie[1], ajoutant à sa fonction première celle d’habitation comptant souvent plusieurs foyers mais aussi des lieux de stockage, de production, d’abri pour animaux, formant progressivement un paysage normatif dont la structure a peu évolué depuis la fin du Moyen Age. Aujourd’hui convertis en lieu de résidence ou d’étapes pour de courts séjours, les moulins à eau jouent un rôle touristique certain et forment par sa grande diversité un patrimoine à préserver.

Moulin de La Garde, Mortagne-sur-Sèvre (c) Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson

[1] BARRAUD, Régis. La rivière aménagée et le moulin à eau. Un héritage en déshérence ? Trajectoires, modèles et projets de paysage. Exemple des vallées sud-armoricaines. In : Bulletin de l’Association de géographes français, 86e année, 2009 (mars). Paysages au fil de l’eau/ Le patrimoine géomorphologique. pp. 32-45.

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